Le constat est sans équivoque : l’insertion professionnelle des jeunes diplômés est de plus en plus difficile dans les pays émergents, notamment en Afrique où environ 60% des chômeurs sont des jeunes diplômés1, principalement en raison de l’inadéquation entre l’éducation qu’ils reçoivent et les besoins des employeurs.
En effet, le marché du travail et les attentes des employeurs évoluent à un rythme extrêmement rapide. De nouveaux métiers émergent et d’autres évoluent ou disparaissent, notamment sous l’impulsion des évolutions technologiques – à l’instar de l’intelligence artificielle (IA) – et des nouveaux paradigmes du changement climatique.
A titre d’exemple, selon une étude du Forum économique mondial, environ 14 millions d’emplois pourraient être perdus dans le monde d’ici 2027 en raison de l’IA2. En Afrique du Sud, l’apprentissage automatique, l’intelligence artificielle et la robotique avancée pourraient entraîner la perte de 3,3 millions d’emplois existants d’ici 20303. Le changement climatique pourrait entraîner la perte de 80 millions d’emplois d’ici 2030, principalement en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest.

Les employeurs dans les pays émergents, en grande majorité des petites et moyennes entreprises ayant des ressources limitées et exposées à de multiples risques et défis, recherchent désormais des profils polyvalents capables de s’adapter à un environnement professionnel en perpétuelle mutation mais dont le coût demeure en adéquation avec leurs moyens. Ils doivent par ailleurs consacrer des ressources considérables à la formation de leur personnel, ce qui réduit leurs marges bénéficiaires et nuit à leur compétitivité. Un manque de compétences adéquates peut limiter l’innovation, l’adoption des progrès technologiques et la capacité d’adaptation aux risques du changement climatique, freinant ainsi la compétitivité économique à long terme. De plus, un déficit de compétences adaptées peut dissuader les investissements directs étrangers (IDE), limitant ainsi les flux de capitaux, la création d’emplois et le transfert de technologies.
La polyvalence augmente l’employabilité des individus, ce qui est bénéfique tant pour les employés que pour les employeurs, surtout dans les PME où la flexibilité est cruciale5.Elle permet aux salariés d’élargir leurs compétences, d’être plus flexibles et de saisir de nouvelles opportunités. Pour les employeurs, la polyvalence des employés se traduit par une meilleure résilience face aux aléas professionnels, y compris la digitalisation et le changement climatique, et une capacité accrue à mobiliser les ressources humaines selon les besoins.

Nouvelles Exigences et Compétences Requises du système de formation

Les cursus académiques actuels peinent souvent à intégrer ces évolutions, créant un décalage significatif entre les compétences acquises et celles demandées sur le marché du travail. Cette inadéquation se traduit par une insertion professionnelle plus difficile, un taux de chômage en croissance, avec des impacts sociaux et économiques significatifs.
Les nouvelles exigences du marché de l’emploi sont fortement influencées par les avancées technologiques, économiques et sociales. Des métiers émergents comme les spécialistes en IA, les ingénieurs en robotique et les analystes de données deviennent indispensables. Ces évolutions exigent des compétences pointues telles que l’algorithmique, la programmation ou l’analyse de données.
Les changements économiques, tels que la transition vers une économie numérique, verte et durable, influencent également les compétences requises. Les entreprises recherchent des professionnels capables de s’adapter rapidement. Les compétences en gestion de projet, en pensée critique et en résolution de problèmes deviennent cruciales.

Impératif d'adaptation continue du système de formation : du savoir vers le savoir évolutif

Ces mutations mettent en évidence l’importance d’investir dans le développement de compétences appropriées et d’adopter une approche proactive. Les systèmes de formations doivent intégrer les tendances mondiales de l’emploi et les besoins des employeurs, tout en tenant compte de leur contexte local. Les parcours d’études devraient inclure des compétences indispensables telles que les softs skills, la pensée analytique et la résolution de problèmes complexes, etc., afin de s’adapter à la nouvelle réalité mondiale, en mettant particulièrement l’accent sur la digitalisation.
Certains métiers traditionnels sont effectivement menacés d’obsolescence en raison de l’automatisation et de la numérisation, ce qui souligne l’importance de réinventer les unités d’enseignement pour répondre aux besoins actuels du marché du travail. Toutefois, cette évolution ne se limite pas à la disparition de certains métiers. De nombreux emplois sont en phase de transformation pour s’adapter aux nouvelles technologies et aux besoins changeants du marché. Parallèlement, de nouveaux métiers émergent pour répondre aux défis et opportunités de l’ère numérique.

L’Approche par Compétences « augmentée » : Un outil adapté pour l’amélioration continue des cursus de formation

L’approche par compétences (APC) se concentre sur l’acquisition de compétences plutôt que sur l’accumulation de connaissances, répondant ainsi aux défis de l’enseignement supérieur.
Cette approche repose sur la correspondance entre les métiers ciblés et les compétences requises, ainsi que les compétences et les unités d’enseignement nécessaires pour concevoir des programmes de formation pertinents. Pour chaque métier, un certain nombre de compétences est identifié et catégorisé en quatre catégories : savoir-être, compétences professionnelles transverses, générales et spécifiques.

La mise en place de l’approche par compétences n’est pas sans défis :

  • Les établissements d’enseignement se heurtent tout d’abord au faible niveau de connaissance du monde socioprofessionnel qui est en constante évolution. Cela est principalement dû au manque, voire l’absence, de dispositifs de veille et de liens étroits avec le monde professionnel et les employeurs.
  • Ils éprouvent ensuite une difficulté à établir une compréhension commune des compétences selon les différents niveaux, tant du point de vue des employeurs que du monde de la formation.
  • Enfin, l’alignement entre les compétences requises par le marché de l’emploi avec celles développées dans les disciplines enseignées s’avère complexe dans la pratique.

La mise en œuvre de l’approche par compétences avec des établissements d’enseignement dans divers domaines de formation, nous a permis de concevoir des outils pratiques tels que les « dictionnaires compétences » ou les « matrices de correspondance » permettant de faciliter les échanges et de mener une transition éclairée entre référentiels métiers/compétences et référentiels de formations/évaluations.

Cette approche par compétences « augmentée » permet aux organismes de formation de se doter d’une capacité d’amélioration continue de la pertinence de leurs offres de formation. Toutefois, ils doivent par ailleurs maintenir un dispositif de veille continue aux transformations mondiales en cours. Les avancées rapides et continues dans des domaines tels que l’intelligence artificielle, le changement climatique, l’informatique quantique et bien d’autres imposent une mise à jour constante des systèmes éducatifs.

Auteurs :

Ouissem GHORBEL

Managing Director

Matine Consulting

Malek MEJRI

Manager

Matine Consulting